Note d'intention

 

Habiter, penser

 

A partir de la cathédrale, de ce lieu/œuvre habité, nous souhaitons entreprendre une traversée, ponctuée d'actes de créations, de textes et de rencontres, et témoignant d'une manière d'habiter. Quand nous disons habiter, nous pensons à une manière d'amplifier les rapports de ce qui est présent à nos sens, « parler aux arbres, aux plantes, aux animaux sauvages,», réinventer, aviver l'intelligence que nous entretenons avec les êtres qui peuplent nos mondes.

 

Cette intelligence, ce mode d'entrée en rapport avec ceux et ce qui nous entoure est aussi vieille que la présence humaine sur terre, aussi ancienne que le sont les pratiques magiques. Mais si cette histoire n'a rien de secret, elle semble pourtant toujours se dérober à la vue, nous être dérobée, pour n’apparaître qu'en éclats, en morceaux, déchirée et déchiquetée dans la trame du monde, annihilée par les constructions désincarnées de systèmes ; aussi nous faut-il à notre tour user de magie pour renouer avec elle, pour la réactiver, la susciter à nouveau.

 

 

Trouer le plafond

 

Nous voudrions remettre sur le métier cette trame de l'habiter et de la pensée, ce canevas dense, touffu, dont la cathédrale de Linard nous semble un élément éclatant parmi une multitude d'autres, moins visibles et plus secret mais qui se lient, se répondent communiquent étroitement les uns avec les autres. Nous voudrions retisser, à notre manière et avec nos propres matériaux, une texture composite, hétéroclite, à la suite de celle de Linard, et comme lui, nous essayer à enchevêtrer le plus proche et le plus lointain, le plus immanent et le plus transcendant dans une même narration, un même continuum. Tous les êtres que nous allons convoquer amènent leur habitat, (là où il vivent, leur environnement vital le plus immédiat) dans une direction complètement inattendue, inouïe et dévorante : Kurtz Schwitters qui troue le plafond d'un appartement familial, répand ses métamorphoses à travers les étages, perce son habitat de grottes célestes, s'acharne dans une ascension sans fin, agglomération de vies, de souvenirs de désirs et de matériaux toujours réagencées.

 

Un quotidien et une cosmologie sans limite définie

 

Jean Linard enchevêtre sur sa première habitation une cathédrale sans toit, proliférante, qui envahit son quotidien, impose son âme foisonnante dans tous les interstices du paysage. Chaque fois, est réquisitionné le plus proche, ce qui prend naissance dans les habitudes de la vie quotidienne et il s'agit alors de les faire dévier chaque jour un peu plus, avec application et méticulosité, obstination et ténacité. Par soustraction ou addition progressive, la maison, la salle de bain, le jardin sont transformés, métamorphosés, repris, défaits et refaits autrement. Le souci domestique devient objet de création continu et permanent. Mais en même temps, cette dimension radicalement créatrice de l'habitat, cette sorte de brisure dans la répétition aliénante du quotidien (cette matière intime, pourrait-on dire) devient le lieu d'inscription d'une cosmologie sans limite définie. Une cosmologie qui convoque toutes sortes d'êtres du dehors, prophètes disparus, animaux sauvages, esprits farceurs ou malins, voire même un Dieu (qui a bien sûr a perdu entre temps son unicité).

 

Politique de l'habiter

 

D'un travail de tissage entre les mailles de ce matériau hétérogène, où les êtres invisibles voisinent les casseroles qui bouillonnent, où Mahomet peut faire son apparition aux côtés d'animaux domestiques, nous escomptons que se dégage une politique de l'habiter. Puisque la politique de l'habiter est pour nous affaire de fils entrecroisés et d'évidement de pelotes, il nous faut parvenir à entortiller des éléments triviaux à des élévations spirituelles, il nous faut tresser un patchwork qui champignonne ailleurs, sous d'autres habitats, d'autres latitudes. Pourquoi parler de politique ? Pourquoi ne pas nous contenter de joindre l'art et l'habiter ? Et bien, parce que nous pensons, avec Daniel Colson, que le commerce avec les êtres qui nous entourent, l'intensité et la texture des rapports que nous entretenons avec eux, détermine une politique incarnée et sensible (une cosmopolitique) dont nous ne percevons encore que faiblement la force tant elle a été peu frayée ou, de manière plus certaine, tant elle a été et est encore écrasée et soumise.